« Certaines personnes n’osent pas prendre de place, respirent à peine et s’assoient dans la vie comme sur un strapontin… »
Anne Ancelin Schützenberger Le plaisir de vivre
Je vois si bien de quoi elle parle !
Moi qui m’assied souvent sur une seule fesse
jambes trois fois enroulées
et bras croisés
et cette respiration bloquée
infichue de descendre et de s’étendre
Cela me fait sourire
je m’aime bien
même sur une seule fesse
« Présence plume » disait-on de moi
quand j’étais petite
Puis « Chat bleu », plus tard
avec mon premier amoureux
Quand je passais des vacances
invitée dans ces belles maisons de famille
une enfant de plus
c’est vrai tous mes sens étaient aux aguets
la peur du faux-pas
me bloquait la respiration
et je marchais presque sur la pointe des pieds
Montmallery, Seine-Port, La Rochelle, Houlgate
toutes ces grandes maisons
impressionnantes
avec leurs escaliers qui craquaient
leurs chambres aux murs fleuris
l’odeur d’humidité des caves et des celliers,
des armoires à vaisselle
des offices, des buanderies,
des roseraies un peu abandonnées
des bassins avec des têtards
des potagers
des bassines à confiture
Tout un monde ancien qui survivait
un peu poussiéreux,
avec des rayons de soleil qui tombaient
sur des photos jaunies d’autres enfants
il y a longtemps
Comme un chat
j’avançais prudemment
parfois tétanisée de faire tomber
un vase ou une porcelaine
parfois enhardie à explorer
en silence
un recoin de jardin
ou une chambre tout en haut sous les toits
avec une lucarne sur la mer
Et de mon strapontin
je buvais toutes ces ambiances
le calme et la pénombre
de grandes pièces remplies de fauteuils
où les tables me paraissaient bien hautes
la mélancolie d’un bureau
depuis longtemps déserté
ou d’un piano qu’on ne fait plus accorder
Il faut respirer maintenant
marcher à plat sur mes deux pieds
ouvrir les fenêtres
balayer, nettoyer
chanter à tue-tête
et sauter à pieds joints sur les canapés !